Je prends le risque de vous écrire et de vous féliciter avant même que d’être édifiée sur les tenants et aboutissants de l’affaire dont vous êtes l’objet. Je n’attends pas que la justice, les jurés et le juge américains statuent sur la véracité ou non de vos accusations. Je vous crois, moi. Je crois que vous dites la vérité, que le client de la suite 2856 du Sofitel vous a sauté dessus et vous a agressé en dépit de votre opposition. Je ne mets pas en doute votre témoignage au motif que vous êtes une femme de chambre, que vous n’avez pas fait de longues études, que vous êtes une immigrée africaine et que sais-je encore! Je vous crois tout simplement et c’est mon intime conviction. Rien ne peut la changer pour le moment.
Je sais, après avoir écouté votre frère sur les chaînes de télé, que vous vivez le martyr, que vous êtes bouleversée, traumatisée et vous sentez salie. Qui ne le serait pas dans votre cas? Je sais aussi, par le témoignage de vos voisins, que vous êtes une personne bien, une femme calme et respectueuse, une voisine sans histoires. Vos employeurs du Sofitel vous décrivent comme une employée exemplaire et qui est bien notée, 4,5 sur 5, dans son travail et dans son comportement. Je sais, par les rapports de la police new-yorkaise, que vous avez aussitôt avertie vos supérieurs de l’incident arrivé dans la suite, ainsi que vos collègues et votre frère. Pour toutes ces raisons, c’est vous que je crois.
Par ailleurs, et c’est très vraisemblable, mon camarade du Parti socialiste français et votre bourreau, Dominique Strauss-Kahn, a obéi à une pulsion en agissant de la sorte, une pulsion irrépressible. Je dis que c’est très vraisemblable car mes collègues de la presse française ont toujours connu son addiction sexuelle et l’ont cachée au nom du principe de non-ingérence dans la vie privée. Pourtant, comme nous autres journalistes du Sénégal, ils ne se privent pas de se délecter des ennuis de la vie privée des citoyens ordinaires et de l’étaler dans les colonnes de la presse à sensations. Mais comme nous autres, ils ont une certaine pudeur à aborder les travers sexuels des puissants. C’est une faute et c’est une grave distorsion dans l’égalité du traitement de l’information.
Mais ce n’est pas là, l’objet de ma lettre.
Je souhaiterai redire à Nafissatou ou Ophelia, c’est selon, que je suis fière de son comportement, de son sens des valeurs, et du respect de sa personne face au double défi d’affronter la réalité d’un personnage très puissant et très influent, et à celui de refuser de vendre son corps et son âme aux sirènes du tout-business. Nafissatou, respect pour avoir dit non à une relation imposée et subie. Respect pour avoir osé dénoncer un client que vous saviez important sans connaître vraiment son identité. Respect pour avoir refusé l’innommable, l’indicible et le viol de votre intégrité morale et physique. Pourtant, ce sont des crimes qui arrivent tous les jours et à force, ils ont fini d’être banalisés.
Certains ne font-ils pas semblant de croire que c’est la faute de la victime si elle a été violée ? A l’ignominie du viol, s’ajoutent le déni et le doute de la victime. Votre main n’a pas tremblé lorsque vous vous êtes débattue, défendue comme une tigresse. Votre voix n’a pas tremblé lorsque vous avez appelé la police. Votre doigt n’a pas tremblé lorsque, derrière le miroir sans tain, vous avez désigné votre agresseur parmi les individus qui vous avaient été présentés.
En même temps que j’éprouve du respect pour vous, j’ai aussi de la peine et du chagrin. Car au lieu de choisir d’arpenter les trottoirs des quartiers chauds d’une ville africaine ou de servir de deuxième bureau à un macho africain, vous avez choisi la dignité et l’honneur d’un travail qui affranchit. Dans un monde globalisé, où l’Afrique n’échappe pas elle non plus à la mondialisation des fléaux sociaux modernes, à l’argent-roi, au fric-dieu et aux vices de toutes sortes, vous Nafissatou-Ophelia êtes une icône, une personne honnête.
C’est une fierté pour toutes les femmes africaines qui croient encore aux valeurs familiales, à l’amitié, à la droiture, au respect de soi, à l’éducation, à l’amour de son prochain et de Dieu. Dans votre malheur, qui est aussi celui de millions de femmes africaines qui subissent des violences sexuelles, il y a des raisons de se réjouir. Pour cette raison, Nafissatou, ne sombrez pas dans la dépression ni dans le désespoir car vous êtes devenue le visage, l’identité et le symbole de tous ceux qui, comme le disait l’empereur Samory Touré, disent non quand ils refusent. Vous devrez aussi pardonner lorsque votre statut de victime, que certains négligent, vous sera entièrement reconnu et que votre dignité vous sera rendue par une décision de justice équitable.
Aujourd’hui, je pense très fort à vous, à votre fille, à votre frère et à toute votre famille et communauté et je vous dis « courage, abimez-vous dans la prière. Dieu est avec les croyants et les faibles »
Je vous demande de considérer qu’avec vous, il y aussi deux autres victimes: votre agresseur que je pense « malade » sexuellement et son épouse qui replonge dans les affres connues il y a deux ans avec l’affaire de l’assistante du FMI. Je ne confonds pas l’agresseur et la victime, mais il faut être vraiment « sexual addicted » pour se jeter sur une parfaite inconnue de cette manière. Je conseille à ma célèbre consoeur Anne Sainclair, que j’ai toujours aimée et admirée, de mettre tout son talent à faire soigner l’addiction sexuelle de son cher et tendre époux. Cela donnerait plus de sens à son combat de tous les jours auprès de Dominique Strauss-Kahn. Il est arrivé, et cela est connu, que des célébrités, malades elles-aussi, soignent leur addiction sexuelle, comme c’était le cas de l’acteur Michaël Douglas, fils du non moins célèbre Kirk Douglas. Il n’y a pas de honte à être malade et à se soigner.
Je suis également fière de la justice américaine.
En dehors de toute interprétation politicienne de sa neutralité et de son indifférence face à la « personnalité » de DSK, la justice américaine nous a montré qu’aux USA, une femme de chambre pouvait être protégée par la loi et avoir droit à une égale dignité face à un tout-puissant. Nafissatou, je n’ose même pas imaginer ce qui se serait passé si votre agression avait eu lieu en Afrique, et même au Sénégal. Au mieux, vous vous en seriez tirée avec des quolibets, des stigmatisations négatives, un déni de votre statut de victime et des représailles. L’égalitarisme et la transparence avec lesquelles la justice américaine a agi est une leçon pour nous. Une leçon à imiter.
I love you, Nafissa and proud of you.
Dié Maty Fall
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire